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De : tris.tcd@gmail.com

Objet : texte exposition - PRISONER’S CINEMA

Date : 24.02.2025

À : julietteb@gmail.com

Tu sais, je suis complètement TOCqué. Je passe l’aspirateur, fais la poussière, nettoie et range constamment. Je dis souvent « chaque chose a sa place, chaque place a sa chose ». Ensuite, je me justifie en disant que ça ne s’applique qu’aux objets, sinon ce serait franchement réactionnaire. Je suis perdu si l’on change de place un objet ou si l’on rajoute un nouvel élément dans l’appartement. Un nouveau vase… Juliette en souffre. « Un appartement, c’est censé être vivant. » Je n’aime pas recevoir, et elle, aime beaucoup recevoir. En fait, c’est comme si la poussière ne s’arrêtait jamais de tomber. J’avais lu que la poussière est un mélange de tout ce qui compose le monde. Des astéroïdes et des poils de chats. Le sable du Sahara aussi.

 Si des gens viennent à l’appartement, j’ai l’impression qu’il est souillé. Ils auraient brassé la poussière et l’auraient envoyée sur des surfaces encore inconnues. Et puis, ils font des miettes. Souvent, ils touchent aux choses, toutes choisies avec soin et disposées d’après mes propres mathématiques. Comme un mot en suit un autre. Je pense au Terrier de Kafka. Habiter est un exercice complexe. 

Je commence toujours par les surfaces les plus hautes. Avec un chiffon en microfibre rose. La poussière tombe vers la surface juste en dessous. Je passe le chiffon dessus et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle soit au niveau du sol. Il y a plusieurs sens au terme de gravité. Je passe de partout. Des plus petites boursouflures des meubles aux moulures des portes et jusqu’aux plinthes. Puis, je prends l’aspirateur. Je trace comme des lignes au sol pour passer de partout, ne rien oublier. Surtout les angles, les creux. Le long des murs. C’est là où la poussière, les poils et les cheveux s’amassent. Je mets l’aspirateur en mode Éco, car je prends mon temps. Si je le mets en mode Turbo, la batterie sera vide avant d’avoir pu finir mon tour de l’appartement. Les lignes sont devenues des routines. Je passe toujours par les mêmes. De petites routes. Je fais la poussière tous les soirs avant d’aller me coucher. Vers 23h30. Ça me prend environ 1h. Une fois que c’est fait, je me sens très détendu. Je sais que le rythme du lendemain ne sera pas embourbé dans l’impression que tout est enseveli sous une fine couche de poussière que le soleil, sous un certain angle, révélera. La lumière rasante est la pire. Lorsque l’on voit une petite neige dans l’air. Comme un grésillement de télé. Je trouve ça beau, mais ce n’est pas fait pour moi.

J’ai pris l’habitude de faire la sieste. Je me mets sur le canapé jaune. Après le déjeuner. Je lance l’album Éthiopiques, vol. 21 : Emahoy (Piano Solo). Et une alarme 30 min plus tard. Tu fais la sieste ?

D’être un chat.

Les poils reposés.

Homesickness.

Sur le grand coussin.

Autant de sabots dans les machines.

Et les papilles en crochet.

C’est pour toi l’entrée ou la sortie du cinéma ? Moi, je pense que je m’endors, allongé sur la terre de la clairière, au milieu de la forêt. Avec un rayon de soleil sur les pieds. Pour ne pas avoir froid. Et la poussière ne me gêne plus. C’est normal ici. Moi, je ne vis plus tout à fait, mais le reste chante l’hallali. En se souvenant de vieux mots. Tout est décidé par la lumière et se réalise en une journée simple. Le fond des pièces reste tranquille et attend son utilité prochaine. Personne ne sera là pour attester ni protester, car il ne se passe rien en dehors de ce petit cinéma. Les rats rêvent de labyrinthe.

Tu trouveras dans les dessins qui seront présents dans l’expo une série où l’on voit le portrait d’une femme. Qui se décline sous différentes formes. C’est le visage de celle qui cherchait l’amour et qui a publié sa photo et un court texte dans un journal. Une petite annonce. L’image, rapetissée et tramée. Son regard m’a tout de suite marqué. C’était donc l’un des bons endroits où commencer. Comme quand on plisse les yeux et que nos cils font tout scintiller. Puis une forme plus abstraite avec une crevette au milieu. Et des vaguelettes noires. En fait, c’est très compliqué de suggérer l’intériorité. Le dedans des yeux. Alors ça ne marchera peut-être pas.

Pour être plus clair, l’exposition s’articule autour de la sieste. Une scène introspective, calme, à la fois mélancolique et réflexive. Il y’a donc le motif de la fatigue qui précède le Prisoner’s Cinema.

Accompagnée par la musique d’Emahoy Tsege Mariam Gebru, la sieste nous entraîne vers ce cinéma du prisonnier, la rêverie, le sommeil proustien. Les images apparaissent et disparaissent sans bruit, à l’image de leur processus d’émergence dans le travail. La figure du prisonnier est ici une métaphore de l’enfermement dans lequel nous placent nos existences; nos solitudes.

Quant au cinéma, il incarne l’imaginaire, la rêverie concrète – ce qu’il nous reste pour échapper à l’angoisse. Un écran invisible à regarder dans l’obscurité de nos paupières closes.

En un sens, chaque exposition pourrait être perçue comme un Prisoners’ Cinema.

correspondance avec Juliette Belleret

avril 2025

                                                            

FR

From: tris.tcd@gmail.com
Subject: Exhibition text – PRISONER’S CINEMA
Date: 24.02.2025
To: julietteb@gmail.com

You know, I’m completely OCD. I vacuum, dust, clean, and tidy constantly. I often say “everything has its place, and every place its thing.” Then I justify it by saying that it only applies to objects—otherwise, it would be downright reactionary. I get completely thrown off if something is moved or a new object is added to the apartment. A new vase… Juliette suffers because of it. “An apartment is supposed to be alive,” she says. I don’t like having people over, and she loves to host. It’s as if the dust never stops falling. I once read that dust is a mix of everything in the world. Bits of asteroids and cat fur. Even sand from the Sahara.

If people come over, I feel like the apartment is sullied. They’ve stirred up the dust and spread it onto previously untouched surfaces. And then they leave crumbs. They often touch things—objects I’ve carefully chosen and arranged according to my own internal mathematics. Like one word following another. I think of Kafka’s Burrow. Dwelling is a complex exercise. 

I always start with the highest surfaces. With a pink microfiber cloth. The dust falls to the surface just below. I wipe that one next, and so on, until it reaches the floor. There’s more than one meaning to the word “gravity.” I clean everything. The tiniest furniture swellings, the door moldings, even the baseboards. Then I take the vacuum. I draw lines on the floor to cover every spot, miss nothing. Especially the corners, the hollows. Along the walls. That’s where dust, fur, and hair gather. I set the vacuum to Eco mode, because I take my time. If I put it on Turbo, the battery would die before I finish my rounds of the apartment. The lines have become routines. I always follow the same ones. Little roads. I dust every night before going to bed. Around 11:30 p.m. It takes me about an hour. Once it’s done, I feel very relaxed. I know the next day’s rhythm won’t be bogged down by the feeling that everything is buried under a fine layer of dust the sun will reveal from a certain angle. Slanting light is the worst. When you see that little snow in the air. Like a TV static. I think it’s beautiful, but it’s not for me. I’ve gotten into the habit of taking a nap.
I lie down on the yellow couch. After lunch. I play the album Éthiopiques Vol. 21: Emahoy (Piano Solo). And set an alarm for 30 minutes later. Do you nap?

To be a cat.
The fur at rest.
Homesickness.
On the big cushion.
So many clogs in the machine.
And taste buds hooked like crochet.

Is it the entrance or the exit of the cinema for you? As for me, I think I fall asleep, lying on the earth in a clearing, in the middle of the forest. With a sunbeam on my feet. So they don’t get cold. And the dust doesn’t bother me anymore. It’s normal here. I’m no longer quite alive, but everything else sings the hallali. Remembering old words. Everything is decided by the light and unfolds in a simple day. The back of rooms stays quiet, awaiting its next use. No one will be there to testify or protest, because nothing happens outside of this little cinema. The rats dream of labyrinths.

In the drawings that will be part of the exhibition, you’ll find a series showing the portrait of a woman. Repeated in different forms. It’s the face of someone who was looking for love and published her photo with a short text in a newspaper. A personal ad. The image, reduced and halftoned. Her gaze immediately struck me. It was one of the right places to start. Like when you squint and your lashes make everything sparkle. Then a more abstract shape with a shrimp in the middle. And black wavelets.

In fact, it’s very hard to suggest interiority. The inside of the eyes. So it might not work.

To be clearer, the exhibition revolves around the nap. An introspective scene, quiet, both melancholic and reflective. There is, then, the motif of fatigue, which precedes the Prisoner’s Cinema.

Accompanied by the music of Emahoy Tsege Mariam Gebru, the nap leads us into that Prisoner’s Cinema—daydreaming, proustian sleep. The images appear and disappear without a sound, mirroring their process of emergence in the work.

The figure of the prisoner is here a metaphor for the confinement in which our lives place us—our solitudes.

Cinema, on the other hand, embodies the imaginary, concrete reverie—what we have left to escape anxiety. An invisible screen to watch in the darkness behind our closed eyelids.

In a way, every exhibition could be seen as a Prisoner’s Cinema.

correspondance avec Juliette Belleret

avril 2025

                                                            

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correspondence with Juliette Belleret

april 2025

                                                          

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correspondence with Juliette Belleret

april 2025

                                                            

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De : juliette.b@gmail.com

Objet : texte exposition - PRISONER’S CINEMA

Date : 05.03.2025

À : tris.tcd@gmail.com

Ça toque à la porte. Il ne bouge pas. Il tend l’oreille, en surveillance.

C’est elle qui ouvre. C’est elle qui parle.

Il y a une voix qui arrive du dehors, qui se glisse par la très maigre et très longue entre-ouverture de la porte. La voix s’allonge par là et s’affûte, elle s’étire, comme s’étire un chat juste avant de bondir. La voix file entre ses cheveux et s’insère dans la chambre, elle tourne entre les murs, elle ronde autour du lit. Mais ça ne traversera pas la porte du placard, ça c’est sûr.

C’est un filet de voix grave et grasse – on dirait même visqueuse. Une voix qui tâche et qui colle, comme une tâche de pétrole dans la mer, qui tâche tellement qu’on en parle à la télé. Comme de la poix on dirait ; ou de la suie. Comme de la suie qui colle. Ça ressemblerait à quoi, de la suie qui colle ?

Ce serait comme la peinture des ateliers qui reste sur les mains alors qu’on fait tout pour les laver. Sauf que ça va pas sur les mains, ça va dans les cheveux, ça va autour du crâne. Et ça reste, ça colle et ça luit. Ça va sur le visage, comme

une ombre qui tient un siège et qui va attaquer.

C’est un filet de voix qui va coller à la chambre, qui va la travailler et qui va la déformer, ça c’est sûr. On pourra faire tout ce qu’on peut pour tout nettoyer, mais ça va s’insérer entre les draps. C’est sûr que ça doit déjà filer entre les draps, comme une vague ou une anguille. Ça étire, ça affûte et ça allonge les barreaux du lit, ça grossit, ça grandit. Le lit va finir par occuper toute la pièce et il sera infesté des vagues et des anguilles, on ne pourra plus y dormir sans faire de rêves, et on ne pourra plus y faire de rêves sans y rester. Ça, c’est sûr.

La voix est partout derrière la porte du placard. Elle file. Elle avance. Elle est tellement affûtée qu’elle zozote. Elle doit avoir la langue trop large pour sa bouche. En plus, elle commence toutes ses phrases par « Je ». Et par la porte chaque son s’étire, s’allonge, s’affûte, s’aiguise. A chaque fois qu’elle commence à parler ça fait « Zzzzzzz ». Elle veut et elle exige.

Elle dit « Je compte jusqu’à dix ».

C’est maintenant qu’il faut surtout rester caché. Il faut surtout fermer les yeux. Les yeux fermés, il faut compter. 1, 2, 3… Compter les secondes comme quand on veut passer la journée. 4, 5, 6… Compter les moutons comme quand on veut s’endormir. 7, 8, 8 et demi… Compter les notes de piano qu’on met quand on veut se détendre, penser à quelque chose de doux, penser à n’importe quoi, essayer d’être ailleurs. 9, 9 et demi, 9 trois quarts…

On ouvre les yeux.

L’espace est vaste et clair, avec beaucoup de vitres, beaucoup de portes, avec des arbres à l’intérieur. Ici, les couleurs du ciel changent celles des murs et des visages à chaque heure. On a accroché des dessins aux murs, sur de vieux papiers, sur de grandes feuilles récupérées des ateliers pour enfants, sur des feuilles nacrées ou roses, sur de très grands formats.

On cligne des yeux.

Nos cils se mêlent aux ramures des arbres, aux cils dessinés sur le papier, aux traits jetés d’un geste plus rapide que d’habitude. Quand on se tient au centre de l’espace, on peut voir tous les dessins d’un coup, les attraper entre deux battements de paupières, entre deux palmes courbées. 

 

Il y en a certains qui ressemblent à des mouches volantes : un filament mobile qui se glisse dans le champ de vision. Un filet d’encre de chine qui n’occupe qu’une toute petite partie du papier, puis qui vole, qui se glisse sur un autre support, sur un autre format. Les motifs se répètent, se heurtent, se dégagent, s’agrandissent et se télescopent en compositions murales qui multiplient les sensations de déjà-vu et de paréidolie.

Ça reste dans le revers des paupières.

Certains dessins enfin ont le comportement de l’air. Ils occupent tout le volume d’espace qui leur est offert sur le papier, dans un effet de cadrage en-dehors de quoi rien n’existe. Un geste, une silhouette, un œil, une trouvaille, un chat, un mot inventé, tout est là, immédiatement. Pas de hors-champ.

From: juliette.b@gmail.com
Subject: Exhibition Text - PRISONER’S CINEMA
Date: 05.03.2025
To: tris.tcd@gmail.com

There’s a knock at the door. He doesn’t move. He listens closely, on alert.
She’s the one who opens. She’s the one who speaks.

A voice comes from outside, slipping through the very thin and very long sliver of an open door. The voice stretches through it and sharpens, it lengthens—like a cat stretching just before it pounces. The voice slides through her hair and slips into the room; it spins around the walls, circles the bed. But it won’t get through the closet door, that’s for sure.

It’s a thread of a voice—deep and greasy—you might even say viscous. A voice that stains and sticks, like an oil slick in the sea, the kind you hear about on the news. Like pitch, maybe. Or soot. What would sticky soot feel like?
It would be like the paint from the studio that stays on your hands no matter how much you try to wash it off. Except it doesn’t go on the hands—it gets in the hair, wraps around the skull. And it stays, it sticks, and it gleams. It creeps onto the face like a shadow laying siege, ready to strike.
It’s a voice that clings to the room, that will work its way in and distort it, that’s for sure. You could do everything you can to clean it all, but it’ll seep between the sheets. It’s surely already sliding between the sheets, like a wave or an eel. It stretches, sharpens, and lengthens the bars of the bed. It swells, it grows. The bed will end up taking over the whole room, and it’ll be crawling with waves and eels. You won’t be able to sleep in it without dreaming, and you won’t be able to dream in it without staying there. That’s for sure.

The voice is everywhere behind the closet door. It glides forward. It’s so sharp it lisps. Its tongue must be too big for its mouth. And it starts every sentence with “I.” And through the door, every sound stretches, lengthens, sharpens, hones itself. Every time it starts to speak, it goes “Zzzzzzz.” It wants and it demands.
It says: “I’m going to count to ten.”
Now is the time to stay hidden. Eyes shut. With eyes closed, you have to count. 1, 2, 3... Count the seconds like when you want the day to go by. 4, 5, 6... Count sheep like when you’re trying to fall asleep. 7, 8, 8 and a half... Count piano notes like when you want to relax, think of something soft, think of anything, try to be somewhere else. 9, 9 and a half, 9 and three-quarters…

We open our eyes.
The space is wide and bright, with lots of windows, lots of doors, with trees inside. Here, the color of the sky changes the color of the walls and faces every hour.
We’ve hung drawings on the walls—on old papers, on large sheets salvaged from children’s workshops, on pearly or pink paper, on very large formats.
We blink.

Our eyelashes blend with the tree branches, with the eyelashes drawn on paper, with lines thrown in a quicker-than-usual gesture.
Standing at the center of the space, you can see all the drawings at once, catch them between two blinks, between two curving palm fronds.

Some of them look like floaters: a moving thread slipping into the field of vision.
A streak of Indian ink that only takes up a small part of the page, then floats off, slips onto another surface, another format.
The motifs repeat, clash, emerge, grow, and crash into one another in wall-sized compositions that multiply déjà-vu and pareidolia.

They stay in the backs of our eyelids.
Some drawings behave like air. They fill all the space given to them on the page, in a framing effect beyond which nothing exists.
A gesture, a silhouette, an eye, a discovery, a cat, an invented word—everything is there, immediately. No off-screen.

Runaway Horses se construit comme un recueil de dessins à l’encre de chine. Pour ses petits formats, Tristan Chinal-Dargent récupère des chutes de carton-bois et s’adapte à leurs dimensions. Avec une rapidité d’exécution liée à son médium, il capte ses motifs en quelques traits, allant à l’essentiel avant que l’encre ne sèche. Partant de cette double contrainte technique, il ouvre un espace de créativité au cœur duquel il présente le cheval, sans prétention de le comprendre ou de l’analyser.

Dans sa volonté de laisser sa liberté à l’animal, il garde d’abord ses distances, évitant même souvent le contact visuel. Il avance dans le noir, tâtonnant pour l’approcher sans franchir la barrière qui sépare leurs deux mondes. Le cheval est effleuré par le pinceau, esquissé, avec humilité, et un respect qui passe aussi par le cadrage. Les images se succèdent au mur comme les plans d’un film, dirigent l’attention sur les sabots, l’ombre étalée sur le sol, suggérant le sujet et l’action plus qu’elles ne les montrent.

Libéré de la charge du regard, le cheval l’est aussi du poids symbolique dont il est affublé de l’iconographie médiévale à la culture populaire, monture accessoirisée dans des démonstrations de prestige, puissance, au service de la valorisation d’un cavalier. L’artiste s’affranchit de ces représentations et de leurs codes, opérant sa propre émancipation en même temps que celle de l’animal.

Comme en miroir de ces dessins, apparaissent des vues du personnage joué par Marilyn Monroe dans The Misfits. Traitées avec la même intensité, elles donnent un pendant humain à l’axe de réflexion déployé sur les murs, quelques éléments de réponse supplémentaires à la question de la captivité des êtres et de l’instinct qui les pousse à désirer la liberté et la révolte.

Un désir de révolte

Yaël Chardet - octobre 2024

                                                            

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Runaway Horses unfolds like a collection of ink drawings. For his small-format works, Tristan Chinal-Dargent repurposes scraps of wood-cardboard, adapting to their dimensions. With a swift execution facilitated by his medium, he captures his subjects in a few strokes, distilling the essence before the ink dries. This dual technical constraint opens a creative space where he presents the horse, without any pretension to understand or analyze it.

In his desire to allow the animal its freedom, he maintains his distance, often avoiding eye contact. Moving through darkness, he feels his way, approaching without crossing the boundary between their two worlds. The horse is grazed by the brush, sketched humbly, with a respect conveyed through framing. The images line the wall like frames in a film, directing attention to the hooves, the shadow spread across the ground, suggesting the subject and action rather than explicitly displaying them.

Freed from the burden of the gaze, the horse is also liberated from the symbolic weight assigned to it from medieval iconography to popular culture as an accessorized mount in displays of prestige and power, in service to the rider's glory. The artist breaks away from these representations and their codes, achieving his own emancipation as well as that of the animal.

Mirroring these drawings appear views of the character portrayed by Marilyn Monroe in The Misfits. Treated with the same intensity, they offer a human counterpart to the axis of reflection displayed on the walls, adding elements that respond to the question of captivity and the instinct driving beings to desire freedom and revolt.

 

A longing for revolt

Yaël Chardet - october 2024

                                                            

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Le point de vue du sujet

Hugo Pernet - mai 2024

                                                            

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Nous ignorons à quoi ressemble un visage : de dos, on dirait une espèce de moignon avec des cheveux. Les hiboux, eux, nous regardent bien en face. Ils tournent la tête à 360°, comme des moulins pivotant pour placer leurs ailes face au vent. En réalité, leurs yeux sont si gros qu'ils ne peuvent pas bouger dans leurs orbites.

Se ronger les ongles, avoir mal au dos... sont les effets psychosomatiques de l'angoisse provoquée par les relations sociales. Dans son livre Notre corps ne ment jamais (2004), la psychanalyste Alice Miller raconte que Galilée serait quasiment devenu aveugle le jour où l'Église l'a condamné à abjurer la vérité (la confirmation scientifique que la Terre est ronde). Le hibou volant dans la lumière du jour serait le jumeau négatif du scientifique abjurant la vérité ; ce qu'il voit, lui, nous ne pouvons le voir, et inversement.

Existe-t-il un point où l'un peut devenir l'autre ? Et la lâcheté n'existe-t-elle que parce que nous avons la capacité physique de détourner le regard ?

C'est ce phénomène que décrit la chanson de Michel Delpech, Le chasseur (1974) : par le pouvoir de son imagination (et de sa culpabilité), le narrateur se met à la place de sa proie, une oie sauvage, jusqu'à l'envier pour sa liberté. Il chante aussi, dans Le Loir-et-Cher, le ressentiment de sa famille lui reprochant de passer des semaines « sans voir un cheval un hibou ». Évidemment, je préfère m'amuser à citer Delpech que Mircea Eliade, parce que l'écriture théorique ne nous dit rien de l'expérience réelle de l'identification. Le rôle que joue la figuration, et notamment la représentation animale dans la peinture, c'est celui de Michel Delpech avec sa chanson : laisser une place au spectateur.

Dans sa peinture Le renard pris au piège (1860), Gustave Courbet, lui-même chasseur, adoptait la même ambivalence que celle du chanteur de variété : en figurant ce renard dans la neige éclaboussée de sang, la patte prise dans la mâchoire d'un piège métallique, le peintre renverse l'allégorie christique de la peinture religieuse et nous donne à voir une image réaliste de la chasse. À travers le spectacle de la souffrance, il offre paradoxalement au spectateur la possibilité de ressentir de l'empathie pour l'animal représenté, et celle de se placer du point de vue du sujet.

Au 19ème siècle, le mouvement réaliste a beaucoup contribué à revaloriser la place de l'animal en tant que tel (et non plus en tant que symbole ou allégorie), comme le prouve le succès des peintures de Rosa Bonheur. D'une manière générale, la représentation animale reste un élément central de la culture populaire, et ceci malgré le fait que les sociétés humaines continuent globalement à traiter les animaux comme une ressource agricole et alimentaire. Représenter ne suffit pas. C'est sans doute une des raisons qui poussent Tristan Chinal-Dargent à s'éloigner du naturalisme, pour se rapprocher de la science-fiction.

La science-fiction et la peinture maniériste ont pour point commun de déformer la réalité. Les figures de Pontormo sont exagérément musculeuses ou dynamiques. Celles du Greco sont si étirées qu'elles semblent s’agiter comme des flammes. En plus de modifier les corps sous des prétextes technologiques, la science- fiction étale la réalité dans l'espace et le temps. Dans Star Wars, par exemple, l'action se situe « il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine » (qu'on peut entendre comme un « il était une fois »).

Plusieurs peintures de Tristan utilisent comme point de départ des photographies de tournage trouvées sur internet. Ces photos prises en coulisses, dans lesquelles les acteurs s'amusent du caractère grotesque et terrifiant de leurs accoutrements, renversent le caractère illusionniste de la fiction : les effets spéciaux qui, dans le cadre de la narration, doivent être pris au sérieux, sont tournés en dérision. Ce que semblent nous dire ces peintures, c'est que nous prenons leur sujet trop au sérieux. Trop ou pas assez, comme le suggère ma référence au maniérisme. Il ne s'agit pas seulement de souligner l'analogie entre la figure animale et celle du monstre, du robot ou de l'extraterrestre, mais aussi de rappeler que cette catégorisation n'existe que du point de vue humain. Le travail de Tristan se focalise en fait sur l'incapacité du regard humain à accepter l'autre avec sa limite.

Dans les films de science-fiction, l'espèce humaine est obsédée par l'idée du contact linguistique avec les formes de vie, et donc par la question de la traduction (Rencontre du 3ème type, Arrival...). De la même manière, faire parler les animaux est un leitmotiv qu'on retrouve dans toute la culture à destination des enfants. Dans Alien, au moins, le contact se réduit à un affrontement physique. Ce réflexe « civilisateur » a sans doute à voir avec le récit colonial de la « découverte » du nouveau-monde, mais omet toute la dimension tragique de ce comportement. C'est ce dont s'amuse Tim Burton avec ses petits hommes verts « venus en paix » dans Mars Attacks !. À travers le non-verbal, nous entrons dans une relation limitée, mais équitable avec l'autre, et la peinture peut en offrir une analogie littérale. C'est donc à la littéralité du vivant que répond la littéralité de la peinture.

Tristan Chinal-Dargent utilise des chutes de carton bois récupérées chez l'encadreur. Des rebuts de rectangles inutilisables, hors proportions, car trop allongés ou alambiqués. Ces supports trouvés ont pour particularité de n'être ni assez souples pour être du papier, ni assez rigides pour s'apparenter à des tableaux. Ils sont peints avec de l'encre de chine, au pinceau. Souvent, le sujet se retrouve à la fois suggéré par et prisonnier du support : un oiseau y déploie une aile démesurément longue (au moins aussi longue que la colonne vertébrale de La Grande Odalisque d'Ingres), un autre s'enroule sous l'arche maladroite laissée par un coup de cutter laborieux. Dans plusieurs portraits faits d'après photo, Philip K.Dick apparaît si écrasé qu'on croirait voir le maître de la science-fiction américaine à travers les yeux de sa propre paranoïa.

The owl in daylight est le titre du roman inachevé de Philip K. Dick. Le hibou n'a pas d'autre choix que de regarder dans les yeux, et c'est l'animal que l'artiste a choisi comme Totem de cette exposition. Ce « regard caméra » renvoie pour moi à la réaction du tableau dans le célèbre dessin d'Ad Reinhardt : à un spectateur se moquant d'une peinture abstraite (« Ha ha, what does this represent ? »), ce même tableau répond, énervé : « What do you represent ! ». Rien ne prouve que les œuvres d’art ne sachent pas se défendre, ni même qu’elles aient des intentions pacifiques. Nous ne pourrons le savoir qu’en nous confrontant concrètement à elles, sans essayer de leur faire dire ce qu’on aurait envie d’entendre.

 

The subject's point of view

Hugo Pernet - may 2024

                                                            

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We do not know what a face looks like: from behind, it looks like a kind of stump with hair. Owls, on the other hand, look us straight in the face. They turn their heads 360°, like windmills pivoting to place their wings facing the wind. In reality, their eyes are so big that they cannot move within their sockets.

 

Biting nails, having back pain... are psychosomatic effects of anxiety caused by social relationships. In her book "The Body Never Lies" (2004), psychoanalyst Alice Miller recounts that Galileo nearly went blind the day the Church condemned him to recant the truth (the scientific confirmation that the Earth is round). The owl flying in daylight would be the negative twin of the scientist recanting the truth; what it sees, we cannot see, and vice versa.

 

Is there a point where one can become the other? And does cowardice exist only because we have the physical ability to look away?

 

This phenomenon is described in Michel Delpech's song, "Le chasseur" (1974): through the power of his imagination (and his guilt), the narrator puts himself in the place of his prey, a wild goose, to the point of envying it for its freedom. He also sings, in "Le Loir-et-Cher," about his family's resentment, accusing him of spending weeks "without seeing a horse or an owl." Obviously, I prefer to have fun quoting Delpech rather than Mircea Eliade because theoretical writing tells us nothing about the real experience of identification. The role played by figuration, particularly the animal representation in painting, is that of Michel Delpech with his song: leaving a place for the viewer.

 

In his painting "The Fox in the Trap" (1860), Gustave Courbet, himself a hunter, adopted the same ambivalence as the pop singer: by depicting this fox in the snow splattered with blood, its paw caught in the jaws of a metal trap, the painter overturns the Christ-like allegory of religious painting and gives us a realistic image of the hunt. Through the spectacle of suffering, he paradoxically offers the viewer the possibility of feeling empathy for the depicted animal and of placing themselves in the subject's point of view.

 

In the 19th century, the realist movement greatly contributed to revaluing the place of the animal as such (and not as a symbol or allegory), as evidenced by the success of Rosa Bonheur's paintings. In general, animal representation remains a central element of popular culture, despite the fact that human societies continue to treat animals primarily as agricultural and food resources. Representation is not enough. This is undoubtedly one of the reasons that drives Tristan Chinal-Dargent to move away from naturalism towards science fiction.

 

Science fiction and mannerist painting have in common the distortion of reality. Pontormo's figures are exaggeratedly muscular or dynamic. El Greco's figures are so elongated that they seem to flicker like flames. In addition to modifying bodies under technological pretexts, science fiction stretches reality across space and time. In "Star Wars," for example, the action takes place "a long time ago in a galaxy far, far away" (which can be heard as "once upon a time").

 

Several of Tristan's paintings use on-set photographs found on the internet as a starting point. These backstage photos, in which actors amuse themselves with the grotesque and terrifying nature of their costumes, overturn the illusionistic character of fiction: the special effects that must be taken seriously within the narrative are mocked. What these paintings seem to tell us is that we take their subject too seriously. Too much or not enough, as my reference to mannerism suggests. It is not only a question of highlighting the analogy between the animal figure and that of the monster, the robot, or the alien, but also of reminding us that this categorization exists only from a human perspective. Tristan's work actually focuses on the human gaze's inability to accept the other with its limit.

 

In science fiction films, the human species is obsessed with the idea of linguistic contact with life forms, and thus with the question of translation ("Close Encounters of the Third Kind," "Arrival"...). Similarly, making animals talk is a leitmotif found throughout children's culture. In "Alien," at least, contact is reduced to a physical confrontation. This "civilizing" reflex undoubtedly relates to the colonial narrative of the "discovery" of the New World but omits the tragic dimension of this behavior. This is what Tim Burton plays with in "Mars Attacks!" with his little green men "coming in peace." Through the non-verbal, we enter into a limited but equitable relationship with the other, and painting can offer a literal analogy. It is to the literality of the living that the literality of painting responds.

 

Tristan Chinal-Dargent uses scraps of wooden cardboard recovered from the framer. These unusable, out-of-proportion rectangles, because they are too elongated or convoluted, are painted with Indian ink, using a brush. Often, the subject is both suggested by and trapped within the support: a bird unfolds a disproportionately long wing (at least as long as the spine of Ingres' "The Grand Odalisque"), another curls under the clumsy arch left by a laborious cutter stroke. In several portraits made from photos, Philip K. Dick appears so crushed that one might think they are seeing the master of American science fiction through the eyes of his own paranoia.

 

"The Owl in Daylight" is the title of Philip K. Dick's unfinished novel. The owl has no choice but to look you in the eyes, and it is the animal the artist has chosen as the totem of this exhibition. This "camera look" reminds me of the reaction of the painting in Ad Reinhardt's famous cartoon: to a viewer mocking an abstract painting ("Ha ha, what does this represent?"), the same painting angrily responds: "What do you represent!" Nothing proves that works of art cannot defend themselves, nor even that they have peaceful intentions. We can only know this by confronting them concretely, without trying to make them say what we would like to hear.

 

As an owl in the daylight est une série de dessins à l’encre, nous faisant regarder des hiboux, oiseaux de nuit, dans ce qui serait le jour. Le jour est ici un endroit aveuglant, finalement moins compréhensible que la nuit, lieu des hiboux, moment plus confortable. Deux êtres se font face dans la compréhension du monde : l’humain et l’oiseau.

Tristan Chinal Dargent représente l’inquiétante étrangeté de leurs regards. Ces regards qui nous font exister réciproquement.

Il y a donc tout naturellement la série de celleux qui les regardent, ne nous regardant donc pas. Portraits peu conventionnels, de dos, qui font poser les yeux sur la nuque - presque sensuellement. Nous pouvons alors les observer, dans la nuit, tranquillement. Peut-être savent-ils qu’iels sont aussi regardé·es par nous. Comme un détail du célèbre tableau de Caspar David Friedrich, le voyageur contemplant une mer de nuage, ou bien le portrait de ces amateur·ices amoureux·ses des oiseaux, qu’évoque longuement Vinciane Despret dans son livre Habiter en oiseau.

Tristan Chinal Dargent, à la frontière d’une nature regardée et d’une nature dont nous faisons partie, propose pour un temps d’accepter l’ambivalence de notre relation au monde.

Once We Enter Night

Titi M.Cerina - 2023

                                                            

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La place de l’autre

Claire Viallat-Patonnier - janvier 2022

                                                            

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La main est une bouche qui avale entre ses doigts l’oiseau. De la caresse à la fessée, à plat ou en creux, elle touche, saisit, maintient, frappe le corps de l’autre qu’il soit de fourrure de plumes ou de peau. Elle frotte aussi, griffe, macule la surface du papier ou du contre-plaqué pour faire surgir l’image. 

Dans les scènes représentées l’animal a la part du roi mais il est souvent l’objet d’une violence contenue. Elle nait de la prise ou de la capture, du rapport inégal des forces en présence, de la différence d’échelle, du contraste. Le chien, attaché par la chaîne, est assujetti au souffle de son maître qui le garde captif. Ce dernier, en mobilisant son attention, le fixe dans le cadre laissant sa tête hors champ. Elle n’y entre que ponctuellement. Un signal sonore autorise l’animal à partir mettant fin à la vidéo. L’oiseau est tantôt tenu par la main qui lui sert de socle, tantôt renversé et immobilisé par les doigts qui le recouvrent. Le corps dominant et glorieux du sportif, détourné d’un livre d’images, se confronte au dessin d’un cerf aux abois, aux corps entassés d’oiseaux morts, à la carcasse de bœufs flottant dans l’espace de la page…  Ailleurs dans d’autres dessins, le corps humain apparait fragmenté (bas du visage, main, torse…). Le corps animal, lui, est presque toujours montré dans sa globalité, à l’instar de La louve de Saint-Bonnet en Champsaur, vue de dessus, dessinée au graphite sur du medium, détourée et placée verticalement. Elle semble ainsi curieusement désarticulée comme suspendue par une patte, presque écartelée. L’animal au repos, détouré, tranche sur le blanc du mur. Sur son crâne émerge une scène de fessée – sorte d’indice subliminal enfoui dans le pelage. L’étrangeté de la posture ressurgit dans une série de dessins délimitant les contours d’une brebis assise sur ses pattes arrière, étonnamment avachie, mais aussi dans les ombres tranchées qui déforment les corps, puis s’émancipent du support rectangulaire et du mur par la découpe pour trouver une autonomie réelle dans l’espace. 

L’animal rappelle notre part d’ombre, celle que l’on assume… ou pas ! Celle aussi que l’on contient pour rester dans la norme. Celle qui échappe parfois ou que l’on perd ou que l’on vend. 

La construction des images dit aussi la contrainte, la maîtrise, les relations de domination par les cadrages serrés et le noir et blanc (écart maximal). Il s’agit d’entrer dans l’espace délimité, d’y tenir ou d’en sortir, mais aussi par les bords de figer ou de contrarier le mouvement. Contrôle d’une part, échapper au contrôle de l’autre. 

Envisager le hors champ comme la possibilité d’un débordement. 

Ne fixer les limites que pour le plaisir de les transgresser.

La particularité des cadrages dans les dessins de Tristan Chinal-Dargent va de pair avec la décontextualisation des scènes.  Peu de plans larges, pas de repérages autres que ceux qu’il veut bien nous donner. L’objet saisi est ciblé, centré, épinglé dans la page. Le regard est du coup canalisé. Dans le dispositif, le rôle de l’ombre est majeur. Ombre portée du corps elle suggère un sol et une matérialité ou à l’inverse, dématérialise totalement lorsqu’elle envahit l’espace et construit la forme en négatif, par les pourtours. Dans la série « Les modernes », Tristan Chinal Dargent oppose aux corps masculins imprimés, posés dans l’espace par leur ombre qui trahit la présence d’un sol, les corps d’animaux sans ombre et donc sans poids véritable. Par l’encre, l’ombre acquiert aussi une fonction structurelle. Elle envahit la surface au point parfois de retourner l’image créant ainsi, par illusion d’optique, des apparitions secondaires. Le rapport des valeurs est inversé, les interstices s’animent et deviennent formes à part entière. Leur présence accrue renouvelle la lecture de l’œuvre et fait surgir du vide un potentiel dont la source et les influences sont à chercher du côté de l’orient.

La récurrence des questions de peaux (fourrure, poils, plumes), d’emboîtement et d’interpénétration dans les situations représentées (gueules avalant des proies, bouche et sexe, chapeaux tubulaires des chanterelles, invaginations…) mais aussi dans les formes elles-mêmes, révèle dans le travail de ce tout jeune artiste les prémices d’un vocabulaire personnel qui place l’érotisme du contact au cœur de sa réflexion sur l’art. 

L’autre, quel qu’il soit, qu’il soit dehors ou dedans, réel ou imaginé, complémentaire ou opposé, se situe exactement à la croisée des trajectoires qui relient la bouche, la main, le sexe et l’œil. Il est à la fois l’impulsion qui engage le déplacement et l’objectif à atteindre. 

 

                                                            

The hand is a mouth that engulfs the bird between its fingers. From caress to spanking, flat or concave, it touches, grasps, holds, and strikes the body of the other, whether it be furry, feathery, or skinned. It also rubs, claws, and smears the surface of paper or plywood to bring forth the image.

In the depicted scenes, the animal has a royal part, but it is often the object of contained violence. It arises from the act of capturing or taking hold, from the unequal balance of forces at play, from the difference in scale, and from contrast. The dog, attached by a chain, is subjected to the breath of its master, who keeps it captive. The master, by focusing their attention, fixates the dog within the frame, leaving only its head out of view. It enters the frame only sporadically. A sound signal allows the animal to leave, ending the video. The bird is sometimes held by the hand that serves as its pedestal, other times overturned and immobilized by the fingers that cover it. The dominant and glorious body of the athlete, diverted from a picture book, confronts the drawing of a deer in distress, the piled bodies of dead birds, and the carcass of floating cattle on the space of the page. In other drawings, the human body appears fragmented (lower face, hand, torso...). The animal body, on the other hand, is almost always depicted in its entirety, like the she-wolf of Saint-Bonnet en Champsaur, viewed from above, drawn in graphite on medium, cut out, and placed vertically. It appears strangely disjointed, suspended by a limb, almost stretched apart. The resting animal, cut out, stands out against the white wall. A spanking scene emerges from its skull, like a subliminal hidden clue within its fur. The peculiarity of the posture reemerges in a series of drawings outlining the contours of a sheep sitting on its hind legs, astonishingly slouched, but also in the stark shadows that distort the bodies, then break free from the rectangular support and the wall through cutting, finding true autonomy in space.

The animal reminds us of our shadow, the part we accept... or not! The part we sometimes lose, sell, or let slip away. The construction of the images also speaks of constraint, mastery, and relationships of domination through close framing and black and white (maximum contrast). It's about entering the delimited space, holding or escaping it, but also, through the edges, freezing or thwarting movement. Control on one hand, escaping the control of the other. Envisioning the off-screen as the possibility of overflow. Setting limits solely for the pleasure of transgressing them.

The particularity of framing in Tristan Chinal-Dargent's drawings goes hand in hand with the decontextualization of the scenes. Few wide shots, no other references given unless he chooses to. The captured object is targeted, centered, and pinned on the page. As a result, the gaze is channeled. In the setup, the role of shadow is significant. As a shadow cast by the body, it suggests a ground and materiality or, conversely, totally dematerializes when it invades the space and constructs the form in negative through outlines. In the "Les modernes" series, Tristan Chinal Dargent juxtaposes male bodies imprinted, positioned in space by their shadow that betrays the presence of the ground, with shadowless animal bodies, and thus without real weight. Through ink, the shadow also acquires a structural function. It sometimes invades the surface to the point of flipping the image, creating secondary apparitions through optical illusions. The relationship of values is reversed, the interstices come alive and become complete forms. Their increased presence renews the interpretation of the work and brings forth potential from the void, whose source and influences can be sought in the East.

The recurring themes of fur, hair, feathers, nesting, and interpenetration in the depicted situations (jaws swallowing prey, mouth and sex, tubular hats of chanterelles, invaginations...) as well as in the forms themselves, reveal in the work of this very young artist the beginnings of a personal vocabulary that places the eroticism of contact at the heart of his reflection on art.

The other, whoever they may be, whether outside or inside, real or imagined, complementary or opposing, is precisely located at the intersection of trajectories connecting the mouth, the hand, the sex, and the eye. They are both the impulse that initiates movement and the objective to be reached.

 

The Place of the Other

Claire Viallat-Patonnier - January 2022

                                                            

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